Ces bribes d’analyse regroupent des déclics de compréhension, des points de vigilances mis en exergue par ce qu’a traversé notre collectif ces derniers temps. Elles sont portées individuellement et reflètent la perception/compréhension spécifiques de leur auteur.trice.
L’analyse du Chat des villes
Sur les radicalités et la lutte contre les systèmes d’oppression
Au sein de notre collectif, Il existe une différence de considération accordée aux radicalités portées par les un∙es et les autres. Les différents systèmes d’oppressions (sexisme, racisme, spécisme, classisme, validisme, etc.) et la nécessité de s’en défaire ne sont pas jugés sur un même plan, ne sont pas traités avec la même importance ou urgence. Ainsi, personne n’a relevé l’emploi de l’expression « écologie extrême » au moment où nous évoquions la possibilité de questionner collectivement notre consommation de produits d’origine animale ou nos modes de déplacements. Alors que l’utilisation de l’expression « féminisme extrême » n’aurait pas manqué (à juste titre) de soulever une levée de bouclier ! Nous avons tous∙tes nos angles morts. Nous sommes tous∙tes saisies de manière inégale par les rapports de domination et d’oppression à l’œuvre dans la société (et dans notre collectif) et ceci en fonction de nos privilèges, de notre vécu et expériences, de notre culture, etc. Ce qui n’est pas très étonnant pour un collectif qui d’une part, ne s’est jamais identifié comme « radical » et, d’autre part, ne bénéficie pas d’une continuité spatiale et temporelle (à la différence, par exemple, de collectifs d’habitant∙es, ou d’activistes). La Volte, elle, se rassemblant davantage autour d’un moyen d’action (l’éducation populaire) que d’une véritable cause ou sujet. Bien sûr, ceci est également dû à là où en est la société (l’écologie d’aujourd’hui c’est le féminisme d’il y a 15 ans ?).
Nous sommes donc encore bien loin de pouvoir appréhender une approche intersectionnelle des oppressions. Ce qui me semble poser potentiellement plusieurs risques :
– une crispation individuelle « monde contre monde » : si tu n’es pas autant avancé∙e que moi sur la compréhension de tel système de domination, je ne peux pas être/faire avec toi (Cf. plus bas sur les séparations). Voire des pratiques de radical-splanning notamment entre ancien∙nes et nouveaux∙elles, expérimenté∙es et novices, déconstruit∙es et moins déconstruit∙es…
– un radicalisme rigide : culture dogmatique générant conformisme, contrôle de soi et inquisition permanente des bons comportements à avoir et des mauvais à haïr ou à chasser. Ce processus toxique, par la recherche d’une illusoire « pureté idéologique », disqualifie les engagements des un∙es, dénonce les incohérences des autres et (auto-)exclue celles et ceux jugé∙es pas assez ceci ou trop cela.
– une paralysie théorique et pratique empêchant de progresser sur un axe au prétexte de l’existence d’autres axes tout aussi nécessaires, sclérosant ainsi toute action tant que la « bonne politique » collective n’a pas été définit.
– un relativisme triste : Cada loco con su tema. Chacun-e porte sa croix, chacun∙e son chemin, soyons bienveillant∙e les un∙es envers les autres et ne jugeons surtout pas. Si on ne se dit rien, on est certains de ne jamais être en désaccord. Et si on n’est jamais en désaccord on peut être sûr qu’il ne se passera pas grand-chose !
Sur les départs ou séparations : engagement vs consommation
Certains départs de notre collectif se sont réalisés par suite de « divergence idéologique », de « non partage des mêmes valeurs ». Outre le fait que la confrontation de valeurs comme référentiel permettant de s’associer ou de se dissocier d’un groupe me semble discutable (je vois la pratique comme un point d’ancrage beaucoup plus puissant), ce constat semble dresser une ligne de tension entre :
– d’un côté le besoin de partager un socle commun de valeurs ou de principes politiques comme condition permettant de faire corps, de se sentir en accord avec afin de pouvoir être-faire ensemble.
– de l’autre le besoin d’ouverture et de diversité qui nous incite à accepter voire à rechercher le conflit idéologique comme moteur de notre propre dynamique interne et de notre puissance collective : sortir de l’entre-soi, confronter et expérimenter pour (se-)transformer.
Il peut sembler contre-intuitif, car usant ou décourageant, de devoir, dans son propre collectif, se confronter à des idées, opinions ou pratiques différentes ou opposés à celles que je souhaite incarner. Cependant, ne doit-on pas aussi considérer comme un élément de l’engagement cette contribution à faire bouger les lignes internes de nos collectifs ? N’est-ce pas de ma responsabilité de me confronter aux limites et imperfections de mon collectif et, dans cette difficulté, de demeurer (jusqu’à un certain point) engagé∙e à les transformer ? Quand est-ce que cet écart entre Moi et le groupe devient-il irrémédiable pour légitimer une séparation ? Ou se situe le point de bascule entre mon engagement et ses limites et une certaine inclinaison consumériste à fuir dès l’instant ou l’inconfort ou le dérangement se fait jour ?
Sur comment on se choisit
Il existe une part d’intuition intangible déterminant notre capacité à se reconnaître et à s’associer. Les meilleurs processus d’accueil et d’intégration du monde ne garantiront jamais que « ça matche » avec tous-tes, ni même que l’on puisse identifier facilement si ça va le faire ou pas. Pour paraphraser le titre d’une émission TV bien médiocre : on ne peut pas plaire à tout le monde. Ce que nous sommes ou voulons être ne peut convenir à tous∙tes. Certain∙es trouveront leur place, d’autres non. Dès lors, comment s’en rendre compte sans perdre trop de temps, d’énergie et sans susciter trop de déception ou de souffrance ? Quelques points de repères ou gardes fous :
- si ça frotte rapidement il y a de fortes chances que ça coince définitivement.
- s’il y a déjà un∙e allié∙é présent∙e dans le collectif, ça aide et c’est un facteur d’optimisme quant à la capacité d’un individu à trouver sa place.
- favoriser une « culture du feedback » (se dire les choses qui fonctionne bien et celles qui sont inconfortables voire dérangeantes) permettra de se rendre compte plus rapidement et facilement s’il existe une histoire commune à créer.
L’analyse de la Loutre
Les précurseurs d’une séparation annoncée
Trois éléments m’ont paru signifiants sur le chemin des séparations :
- Le manque de confiance
- Le début des conflits
- Les écarts de culture
Je pense que ça vaut le coup de régulièrement se poser la question de où on en est individuellement et collectivement par rapports à ces curseurs. Si vous répondez individuellement « je n’ai pas confiance en un·e tel·le », « je suis en conflit avec un·e tel·le ou je vois le conflit entre un·e tel·le & un·e tel·le » ou encore « je ne partage pas la posture, les points de vues, les besoins, …, de un·e tel·le » ou pire « j’ai du mal avec la posture, les propos, … de un·e tel·le » alors c’est le début de la fin 🙂 De la même manière si vous répondez « je n’ai pas confiance dans le collectif pour … », « je ne vois pas de culture collective se construire » ou « je pourrais me sentir en conflit si le collectif … » alors c’est le début de la fin 🙂 Et la fin d’une chose c’est le début d’une autre, alors confiance et gratitude. Rien de dramatique à cela, juste un intérêt à se le dire et à se séparer sans trop y laisser de plumes, tout le monde aura à y gagner.
Le conflit interpersonnel ou l’arbre qui cache la forêt !
Si ça frotte pour un-e ça peut frotter pour toustes ! Le conflit interpersonnel vient révéler une tension possiblement collective non encore conscientisée, analysée, verbalisée par d’autres. Dès lors qu’il y a conflit entre certains membres d’un collectif il est judicieux de poser la question aux autres membres de qu’est-ce que ce conflit raconte de leurs propres difficultés dans le collectif et avec les personnes en conflit, de leur rapport au conflit et aux sujets sources du conflit. D’un conflit interpersonnel peuvent ressortir des problématiques collectives ou lignes de tensions à traiter collectivement.
La temporalité
Si ça ne matche pas en quelques mois y’a des chances que ça matche pas en quelques années alors rien ne sert de faire durer !
Si l’élan n’est pas là, si l’envie de faire ensemble ne germe pas, si la confiance ne s’installe pas assez rapidement ce n’est peut-être pas la peine de traîner pour se le dire et perdre du temps, ni de se faire des illusions, de faux espoirs ou faux semblants.
Un peu d’honnêteté radicale fait gagner du temps.
L’Analyse du Renard
De quoi ce conflit interpersonnel est-il le nom ?
Après une tentative de résolution autogérée, le collectif s’est saisit d’un dispositif de gestion de conflit entre deux membres du collectif. Il a parfois été nommé « conflit interpersonnel ». Cette appellation omet une bonne partie de l’équation. Au cœur du sujet de tension, sont les enjeux autour du féminisme, du patriarcat, du genre. Il s’agit d’un enjeu sociétal qui traverse notre collectif.
Un élément pour se décentrer de la notion de conflit interpersonnel serait de considérer que le conflit n’a pas émergé entre ces deux personnes, mais qu’il s’est cristallisé, à cet endroit précis du collectif. Je ne nie pas que des difficultés relationnelles soient également constitutives de ce qui a été nommé conflit interpersonnel, mais leur influence me parait bien moindre que ses autres dimensions. Parmi une diversité de rapports de domination systémique, celui du genre et du patriarcat est probablement celui sur lequel les membres de notre collectif sont, individuellement, le plus avancé dans la compréhension de ses mécanismes. L’état de cheminement de chacun.e en termes de déconstruction de ce que véhicule le patriarcat est inégal. Si sur d’autres rapports de domination le différentiel de cheminement est plus resserré, il est ici assez conséquent. Les deux personnes sur lesquelles cristallise cette tension sont positionnées aux extrémités de la répartition de positionnement de l’ensemble des membres..
Il ne manque plus qu’un déclencheur. Un comportement qui crispe et les conditions de température et de pression sont suffisantes pour qu’un cristal de dérangement démarre sa formation. Cette tension qui traverse le collectif trouve refuge dans l’écart qui sépare ces deux personnes, sur le cheminement face au patriarcat.. La cristallisation se poursuit au fil des accrocs et s’amplifie, en se déposant et s’agglomérant sur ce cristal bien pratique qui peu à peu grossit jusqu’à se mouvoir en conflit.
Ce qui dérange à travers le collectif n’est pourtant pas l’apanage de ces deux protagonistes, et est bien plus large. Si la cristallisation autour d’une relation interpersonnelle a permis de capter l’attention sur la question du patriarcat, elle invisibilise dans le même temps les implications en dehors du champ de la tension interpersonnelle en lui volant les projecteurs. On a ainsi focalisé l’attention sur le cristal au lieu d’observer le système dans son ensemble. Un biais qui se nourrit assurément de certains mécanismes de défense lié au patriarcat ?
Du processus, du défaut de confiance, du pied dans le plat : une petite histoire de l’enrobage de process’ fantômes
Notre collectif s’est agrandit, par vagues d’accueil successives, en quelques années, passant d’un collectif de 2 personnes jusqu’à regrouper 13-14 personnes, au sein de la « Horde » dont les membres sont au cœur de nos activités. Nos processus et intention d’accueil et d’acculturation se sont adaptés aux vécus, et loin d’être inexistants, ils ont révélé des marges de progression. De manière générale notre collectif a historiquement une culture affinitaire et non formelle très prononcée. Nous nous sommes donc dotés de processus et autres dispositifs chemin faisant, au fur et à mesure que nous rencontrions certains enjeux.
Il est des processus qui viennent ajouter de la fluidité, clarifier rendre plus accessible le partage des responsabilités ou canaliser des enjeux de pouvoir au sein du groupe. L’accroissement du nombre de personnes impliquées vient chahuter la dimension non formelle présente jusqu’alors. L’élan de formalisation autour de certains process contribue à stabiliser une organisation qui évolue.
Notre ‘crise de croissance’, pas encore terminée d’être traversée ni stabilisée autour d’un fonctionnement satisfaisant, et ce sont d’autres enjeux ou problématiques qui sont venus s’y superposer.
Il est des processus qui viennent combler des vides, enrober le dérangement.
Lorsque l’on se dirige vers la prise en charge collective d’un conflit interpersonnel alors que l’enjeu est ailleurs (#patriarcat).
Lorsque l’on met en place un système de répartition des sollicitations d’accompagnement sans aborder (explicitement) les questions sous-jacentes :
- La reconnaissance du degré d’acculturation à la couleur et à la posture d’accompagnement de notre collectif
- La gradation dans l’analyse et la complexité des situations rencontrées par les collectifs qui nous sollicitent et la confiance ou légitimité que l’on reconnait aux autres membres pour mener ces accompagnements ‘touchy’
- Le principe affinitaire, avec qui je me sens à l’aise de mener ces actions, avec qui je n’ai pas l’élan, avec qui je ressens un frein ? (#cartographie affinitaire)
- Une culture du feedback (trop) peu présente (#honnêteté radicale)
- Le défaut de confiance qui s’est immiscé dans certains espaces
Jusqu’où s’élance-t-on dans cette direction, faite de petits pas, avant d’aboutir aux transformations nécessaires ? Jusqu’à quand ? Et si un bon pied dans le plat pouvait aussi faire l’affaire ?
Si j’accorde du crédit à la plupart des process que nous avons mis en place durant cette dernière année, j’ai aussi régulièrement eu la sensation que certains processus n’étaient là que pour enrober là où il n’était pas facile de poser le regard.
C’est l’une des intentions poursuivies lors de notre semaine d’auto-accompagnement. L’apport de la socianalyse y a indéniablement eu un impact, en assumant travailler sur le dérangement. En abordant ces sujets à notre sauce et en transformant le cadre associé à cette pratique, sans surprise !
Mais alors c’est quoi un bon ou un mauvais process ? (à lire avé l’accent du chasseur)
« De toute façon, c’est facile, t’as le process, tu le sens, c’est un bon ! Tu le suis !
Pis t’as le process, bon euh, tu sais pas trop… Tu le suis aussi quoi, mais euh, ce n’est pas pareil c’est un mauvais process. L’important c’est de savoir les reconnaitre ! »
L’analyse du Papillours
Jeunesse et Ouverture
De mon point de vue, les difficultés que nous avons traversées sont principalement liées à la croissance de notre collectif. Que ce soit en nombre ou dans le temps, la croissance est une période sensible. L’université du Nous propose une lecture de la vie des nous qui me parle assez bien de ce que nous avons vécu. Au début tout le monde s’aime, on se choisit par affinité. Puis les premières tensions arrivent, c’est compliqué ça frotte, on s’engueule peut-être (pas trop chez nous, les tensions sont plutôt sourdes). Enfin on commence à dépasser ce cap et on arrive à se dire les choses, à s’aimer tout en se confrontant, c’est l’âge de la maturité. Si on progresse encore on passe le cap et on fait équipe en nourrissant le centre. Je pense que nous avons progressé collectivement en passant à travers ces étapes. Mais pas tous, certain·es sont arrivés en cours de route, tous·tes n’avaient pas la même expérience du collectif. C’est aussi le vécu commun qui permet d’accepter ces étapes. Les réalisations collectives, les difficultés forgent un cœur commun. La vie d’un collectif n’est pas la somme de la vie de ses membres, c’est peut-être banal à dire (écrire) mais faut-il encore en avoir conscience. Les membres de la Volte ont beau avoir du vécu, de la connaissance, voire de l’expertise sur la vie des groupes et des collectifs, iels ne sont pour autant pas exempts de devoir passer par les mèmes étapes qui n’importe quel autre collectif. « Rien ne nous sépare de la merde qui nous entoure ». Étant un collectif militant qui se veut inclusif, il est difficile de penser la différence comme un frein ou une source de tension. Pour moi ce qui fait partie de l’ADN de notre collectif c’est d’accepter les membres de La Volte comme ils sont sans avoir d’intention de les changer. Je pense que ce serait plus facile pour un collectif de droite réactionnaire de gérer les arrivées et les départs, les tensions et les questionnements. Tu suis le chef, tu fermes ta gueule, tu signe la charte et le règlement intérieur. Chez nous rien de tout ça, il y a des principes (questionnables) pas de règle, que tu sois récemment arrivé ou ancien·ne tu peux remettre des choses en question. « Quand rien n’est sûr, tout est possible, mais quand tout est possible plus rien n’est sur … » A partir de là difficile de garder des repères et de se référer à des balises pour gérer des dysfonctionnements. On a appris en marchant, on a créé des outils en fonctions des besoins qui se présentaient, donc dans l’urgence, sans prise de recul. Enfin dans notre parcours collectif, nous avons donné à voir, nous nous sommes forgés une image, peut être désirable. Ça a l’air chouette de faire partie de la Volte. Cette image (qui n’a peut-être rien à voir avec le réel) attire des personnes. L’envie d’appartenance peut prendre le dessus sur l’envie de faire avec. Or notre collectif s’est créé sur le faire. Nous ne nous sommes jamais questionnés sur les attentes, intentions des personnes qui nous ont rejoint. Je pense que nous avons nourris du décalage à cet endroit. L’honnêteté radicale est à mon avis un repère important pour éviter les méprises. La Volte n’est pas pôle emploi (elle ne te donnera pas de travail) n’est pas un groupe de développement personnel (elle ne réglera pas les problèmes que tu as avec toi même), ce n’est pas non plus une agence de loisirs pour occuper ton temps libre. Même si on peut faire un peu de tout ça par moment, ce n’est pas le cœur du collectif.